Chapitre 2 : Se sauver
Ils continuèrent à longer le fleuve jusqu'à ce qu'Adam s'aperçoive qu'elle ne savait pas vraiment où ses pas les menaient.
"Vous habitez dans le quartier?"
Cathy ne répondit pas tout de suite,les larmes lui montèrent aux yeux;elle se battit comme toujours pour ne pas leur laisser le droit de courir sur ses joues.
Il le vit mais,respectant sa pudeur, ne fit aucun commentaire et lui laissa le temps de répondre.
"J'habitais par ici,jusqu'à hier soir encore"
Sa voix tremblait mais elle était assez sûre d'elle-même pour continuer
"J'habitais chez un homme que j'aimais, enfin que j'aime serait plus juste, mais,depuis hier nos chemins se sont séparés...Je n'ai pas vraiment quelque part où aller,mais je sais qu'il y a un centre d'hébergement dans le coin..."
Elle n'attendait rien de lui, elle ne lui avait pas raconté cela dans le but qu'il s'apitoie sur son sort mais par confiance, pour lui donner un peu d'elle,comme lui-même l'avait fait si peu de temps avant.
"Oui,je connais une personne qui y travaille. Mais c'est un lieu assez dangereux pour une jeune femme comme vous..."
Adam ne voulait pas qu'elle croit qu'il la considérait comme fragile mais par dessus tout il ne voulait pas la laisser seule.
"Bien que cela puisse vous paraître osé, je peux vous proposer de venir chez moi. J'ai une partie de l'appartement,qui était l'atelier de ma femme. Je n'y vais jamais et vous pourrez y vivre tranquillement,sans vous occuper de moi".
Il savait que ses paroles pouvaient être mal interprétées, aussi,il n'en rajouta pas et attendit sa réponse .Adam s'aperçut aussi que sa voix avait à peine tremblée en prononçant "ma femme".
Elle réfléchissait mais savait que sa décision était déjà prise.
Cathy n'avait nulle part où aller et n'avait aucune envie de rejoindre le centre d'hébergement. De plus, contrairement à ce qu'il pensait, elle sentait au plus profond d'elle-même que cet homme était sincère, et puis, elle c'était promis de veiller sur lui. Habiter le même appartement serait utile pour savoir comment lui redonner le goût de vivre.
"C'est une offre qui ne se refuse pas, elle répondit avec le sourire, cependant j'aimerais y poser une petite condition"
Adam s'étonna mais acquiesça. Elle sourit de plus belle
"Je connais la cuisine des hommes et c'est généralement un enfer, alors je viens chez vous uniquement si c'est moi qui cuisine".
Et enfin, comme une lumière de chaleur qui part du cœur et touche les lèvres,il sourit .Il lui semblait faire une grimace tellement son dernier sourire lui paraissait loin mais Adam comprit une chose
"Si Dieu existe, il me demande de me battre pour que cette jeune fille soit heureuse; et si Dieu n'existe pas ,c'est le destin lui-même qui l'a mise sur ma route. Dans les deux cas, elle retrouvera le bonheur que l'on se doit d'avoir lorsqu'on est encore si jeune".
Ils avançaient silencieux dans leurs paroles mais de nouveau vivants dans leurs pensées...
Il la guida jusque chez lui.
En passant sur les pavés des trottoirs noirs et luisants à la simple lueur des réverbères, il réfléchissait en lisant au tréfonds de son âme les sensations qui le traversaient. Adam ne doutait pas d'avoir pris la bonne décision mais se demandait comment il allait réagir.
Sa femme morte,il n'avait plus eu une présence féminine auprès de lui et l'atelier était le lieu le plus chargé de sa présence, de sa douceur et de sa passion de la vie. Il avait été son refuge pour ses rêves, ses combats, ses espoirs..son amour pour lui également.
Il savait déjà que les jours qui allaient suivre seraient les plus difficiles de sa vie sans elle...
Cathy le suivait, silencieuse,respectant la souffrance qu'elle voyait sur son visage .Ses chaussures à petits talons semblaient faire un bruit monstrueux dans les rues silencieuses, elle s'appliquait à marcher sur les pointes comme pour préserver la bulle de cet homme dans sa médiation.
Elle avait compris dans les grandes lignes qu'il avait perdu la femme qu'il aimait. Et,plutôt que de lui inspirer de la compassion, elle ressentait pour lui une admiration profonde. Aucun des hommes que Cathy connaissait n'aurait pu se vanter d'avoir aimé autant, ou plutôt d'avoir aimé tout simplement.
Et ,elle pensait en particulier à l'homme pour lequel son cœur battait et battrait certainement jusqu'à sa mort....
Ils arrivèrent enfin chez lui .
Adam s'arrêta devant une magnifique porte en bois, l'entrée de la maisonnette était reculée, une petite corniche de lierre et de fleur la surplombait, rendant dans la rue si commune aux rues parisiennes un petit charme provincial qui n'était pas pour lui déplaire et la rassurer.
« Comme une touche féminine, un détail, un clin d'œil qui dirait tout va bien ici c'est un jardin protégé » .
La clé à peine entrée dans la serrure,il se tourna vers Cathy. Attentif à son regard qui s'attardait sur ce que sa femme avait appelé : Le Bienvenue.
Lui qui se rappelait bien avoir appelé ça « du travail de plus avec ce lierre qui risque de bouffer toute la pierre! ». Ils se sentaient proches,nullement gênés d'une situation si étrange.
« Je vis seul depuis quelques mois, aucune femme n'a mis les pieds ici et du coup ,il ne faudra pas vous attendre à ce que tout soit parfaitement rangé... »
Cathy haussa les sourcils, faussement contrariée .
"Qu'est ce que je disais!Heureusement qu'on est d'accord pour que je cuisine, les hommes ne changeront jamais!"
Il lui sourit à nouveau, heureux face à tant de débauche de bonne humeur, de simplicité et..de naïveté! Il se surprit à penser
« Heureusement qu'elle est tombé sur moi..elle aurait pu partir avec un inconnu aux attentions beaucoup moins délicates.. »
Ils franchirent le portique.
En rentrant, elle pu constater que la loi du rangement n'était en effet pas la plus forte...Cathy se surprit à se dire que c'était peut-être mieux,elle aurait de quoi s'occuper et pourrait rembourser, à sa manière, son sauveur.
Il passait devant elle, essayant en vain de nettoyer quelques places pour le passage .Elle rit intérieurement de son comportement ,alors que c'était elle qui aurait du se sentir gênée de venir squatter chez lui une partie de son appartement .Adam relevait des vêtements, des boîtes , ouvrait d'autres portes pour jeter dans d'autres pièces le surplus du hall d'entrée.
Celui-ci était lumineux, accueillant .Les murs chocolat et orangés adoucissaient son âme , et les peintures aux murs vives, colorées ,ressemblaient à des flammes...
« Idéal pour réchauffer les pensées des arrivants tremblant du froid mordant des soirs d'hivers parisiens! ».
Ils avancèrent jusqu'au bout du couloir, il passa devant les autres pièces sans s'arrêter..
« Autant arracher le pansement d'un coup sec et direct » pensa t ' elle, aussi elle ne ralentit pas malgré la curiosité de découvrir les lieux.
Ce qu'Adam appelait l'atelier était immense, en deux parties. Une, plutôt vaste qui était entourée de murs tapissés en rouge sombre comme des rideaux de théâtre et d'où ressortait une impression d'ambiance feutrée, presque religieuse à la façon des artistes. Les murs eux mêmes étaient ornés de tableaux, principalement submergés de couleurs il y avait également des portraits d' inconnus qui pourtant avaient tous quelque chose de semblable. Oui, car les yeux de ces personnes brillaient d'une lueur malicieuse, douce et ...impossible à décrire, comme si un message était écrit là, un secret...
« Ces tableaux sont tout simplement envoûtants! ».
Adam la regarda s'extasier sur les œuvres secrètes de l'amour de sa vie. Puis , puisqu'il ne répondait pas Cathy se tourna vers la seconde pièce, totalement différente. Les couleurs pastels rendaient à cette petite chambre une âme d'enfant. Elle s'attendait presque à y voir des peluches et des doudous. Oui, c'était le genre de chambre où, quand le chagrin vous surprend, vous pouvez venir vous jeter sur le lit, le nez au plafond et laisser les larmes couler comme quand vous étiez enfant, avec ce secret espoir qu'un de vos parents viennent vous étouffer d'amour dans des bras immenses , plus grands que vos malheurs..
Elle se sentit réellement bien, protégée..
"Est-ce que ça vous convient? Je pensais à cette pièce parce que c'est la plus féminine de l'appartement mais il y a d'autres chambres si tu veux changer... »
Adam semblait sincèrement douter que cet "atelier" immense puisse ne pas lui convenir!
"Bien sur, il faudrait être une star extrêmement compliquée pour ne pas apprécier la beauté du lieu!Si j'avais su je vous aurez rencontré plus tôt!"
Il lui sourit à nouveau, réalisant que c'était de plus en plus fréquent alors que quelques heures plus tôt il pensait ne plus avoir le goût de vivre.
"Une seule chose me contrarie en réalité"
Il se retourna vers Cathy,surprit encore une fois.
"Vraiment, mais quoi?"
Elle prit son air le plus sérieux
"Je suis désolée de vous le dire comme cela mais je suis plus jeune que vous,cela se voit bien et pourtant vous continuez à me vouvoyer...Si nous devons vivre dans le même appartement nous pourrions au moins être un peu plus cool et vouvoyer à tendance à me mettre sur le mode défensif..."
Il rit,ce qu'elle lui demandait serait venu tout simplement comme une évidence avec le temps mais comme elle l'avait dit elle-même avec justesse ,elle avait l'impatience de la jeunesse.
Sa bonne humeur des dernières minutes commençait pourtant à s'estomper.
L'atelier où il l'avait menée était empli de son odeur,de son rire...Il avait l'impression que son cœur se remettait à saigner alors qu'il croyait ne plus avoir à souffrir. Il s'excusa et retourna vers le salon, l'âme poursuivie par toute la peine qui ne disparaîtrait jamais vraiment.
Soudain, son plan avorté lui revenait en mémoire,Adam commençait à croire que son choix n'avait peut-être pas été si bon, s'il n'avait pas suivi cette jeune femme il serait actuellement libéré de toute cette souffrance et il aurait retrouvé la femme qu'il aimait tant...
Cathy était sensible à ce changement, elle se doutait bien que le fait de revenir dans cet endroit avait certainement ravivé cette profonde blessure. Elle le suivit, le regard sombre à son tour. La tristesse était définitivement contagieuse. Elle se sentait à son tour perdue,se demandait ce qu'elle faisait là et ce qu'il valait pour qu'elle ait eu l'envie de le protéger.
Ils s'installèrent silencieusement dans le salon. L'endroit était simple, masculin. Peu de décoration, pas de couleurs mais assez confortable et personnel pour se blottir dans les fauteuils de cuir, face à face .Une petite table en verre les séparant , sans rien dessus, pas de magazines, de petits bibelots , de bougies..bref n'importe quoi qui ramène un peu de vie, d'attachement. L'endroit était lisse, ne servant qu'à placer là où on s'y attend les choses essentielles et nécessaires, sans superflus .
Il sortit deux verres.
"Tu veux boire quelque chose?"
Elle refusa ayant le sentiment de déjà trop profiter. A sa manière de boire, Cathy s'aperçut que c'était certainement ce qu'il avait dû faire pendant pas mal de temps pour éloigner la douleur...Elle se mordit les lèvres.
Qu'est-ce qu'elle croyait? Évidement qu'il existait des gens qui souffraient plus qu'elle avec sa petite peine de cœur! Elle avait retrouvé le sourire et un toit grâce à Adam, elle lui devait au moins d'essayer de lui redonner le bonheur de vivre.
Avec un but défini, Cathy se sentait repartir de l'avant. Elle respira un bon coup et tenta le diable :
"Votre femme est morte,je suis consciente et désolée de la peine que vous avez à endurer mais je me dois de vous demander quels sont vos projets désormais. Allez-vous m'abandonner et tenter à nouveau de vous tuer?"
Elle le regarda droit dans les yeux sans ciller .Adam la dévisagea et,pendant un court instant ,elle cru qu'il allait la mettre à la porte pour son impertinence.
Quelques secondes passèrent... Derrière ses yeux sombres il se passait surement beaucoup de choses mais son visage, sérieux, ne laissait rien paraître.
Il lui répondit enfin alors que Cathy osait à peine respirer.
"Je croyais que l'on devait se tutoyer maintenant?Je ne peux pas respecter vos exigences si vous même vous ne vous y pliez pas"
.Il n'avait pas affirmé ou démenti mais c'était pour elle la plus belle des réponses. Bien sûr, Cathy aurait pu se vexer , mais elle savait que le fait qu'il n'ait pas voulu lui donner raison était déjà un pas vers le renoncement de son sombre plan. Le signe aussi qu'Adam avait jugé son intervention comme nécessaire et nullement déplacée, ce qui montrait qu'ils se comprenaient mieux que la plupart des gens qui se connaissent depuis longtemps.
" Tu as raison à partir de maintenant pas de vouvoiement qui tienne!" Et leur deux souffles reprirent, soulagés et réguliers.
"Je ne vais pas te proposer de cuisiner ce soir parce que le frigo est plutôt vide..."
Elle plissa les yeux
"Attends si c'est la seule manière que tu as trouvé pour me dire qu'il faut que je fasse les courses ce n'est vraiment pas délicat!"
Il rétorqua
" Je ne vais pas faire les courses si c'est toi qui veux cuisiner. C'est aussi une des choses que les hommes font si mal..."
"Bien dans ce cas je ne vois plus qu'une solution..."
Il se leva prestement
"D'accord ça je sais faire!"
Et il se dirigea vers le téléphone pour faire livrer quelques pizza.
La soirée se déroula paisiblement, ils parlèrent des sujets qui ne risquaient pas de raviver la moindre blessure. Un vieux film , les quatre filles du Docteur March en fond sonore, leur permettant de discuter de romans, de l'ancien temps, des évolutions de mentalités...
Tout ce qui pouvait faire qu'ils apprennent à se connaître même si c'était d'une certaine façon déjà fait .Il y avait en eux une âme forte et cette même force les rendaient plus faibles. Et cette âme qui les observait ne se doutait pas elle même qu'elle allait être à la fois leur force, et surtout leur faiblesse.