Je ne m'habille guèr- que de noir ; et le blanc
Ne couvrira mon corps ni vivant et ni mort.
L'esprit m'abreuve de souvenirs accablants ;
Le coeur à chaque instant me nourrit de remords.
Je forme des projets ; mon destin les avorte.
Mes prières au ciel sont restées lettre morte.
Au milieu de ma chambre, allongé sur mon lit,
Je suis vêtu de noir : c'est mon deuil que je porte.
Je voulais la croquer : c'est elle qui me mord.
Chaque jour elle arrache un morceau de mon âme.
Sans faire de fumée je brûle dans ses flammes.
J'attends d'être sauvé de la vie par la mort.
Les mots sont là, bien qu'il ne reste rien à dire.
La plume tourne en rond mais continue d'écrire.
Etre et ne pas être ; et ne pas être surtout.
La bougie s'est éteinte et pourtant fond la cire.
J'écris sur ce qui est déjà un tas de cendres.
Mes quatrains, tous mes vers, partiront en fumée.
Avant de me créer, tu m'avais inhumé.
Je veux monter au ciel et t'en faire descendre!
Un passé médiocre ; un futur qui promet
D'être aussi médiocre. Un présent lamentable
Vautré entre les deux, neutre, et qui se démet
De toutes ses fonctions, pleutre et irresponsable.
Du jardin de ma vie si tu ouvrais la porte,
Tu verrais, au milieu des fleurs jamais écloses,
Des fruits qui sans mûrir déjà se décomposent,
Un arbre qui survit, dont les branches sont mortes.
Dans le ciel, l'âme usée, ne voit plus aucun signe...
Un pacte que ni dieu, ni le Diable ne signent.
Et la proie du destin qui enfin se résigne :
Vilain petit canard ne deviendra pas cygne.
Au milieu de ma chambre, allongé sur mon lit,
Avec à mon chevet, moi-même qui me lis
Une oraison funèbre élogieuse et tendre ;
Je pleure la non-mort d'une âme démolie.