"Mameto, elle est bonne votre pâte de coings! Vous m'expliquez comment vous la faites?""
Teso-té ! Après...." C'était l'heure d'une sacro-sainte émission radiophonique dont je ne me rappelle plus le nom, sur Radio-Monte-Carlo, et comme chaque jour, chacun se devait de respecter un religieux silence, pour ne pas troubler le plaisir de Mamette, qui était un peu dure d'oreille.
J'aimais bien vivre chez ma Mamette, ça sentait bon à l'oustau: les pièces de savon de Marseille qui séchaient sur le haut du buffet, les fruits dans le compotier sur le dressoir, l'eau de lavande dont elle usait discrètement... Eté comme hiver, la cuisinière à bois était allumée. Mamette était très contente! Elle la trouvait moderne, sa cuisinière, avec son four et sa "bouilloire"...Moi, je la trouvais belle, son émail bleu me ravissait...(même si je préférais la grande cheminée avec son cantou, où on pouvait se blottir contre les grands-parents et écouter leurs histoires).
Ma Mamette aussi, je la trouvais belle! Elle avait des cheveux de neige qu'elle lavait à l'eau de vie. Quand je lui demandais pourquoi, elle me répondait
"De l'eau sur la tête? Jamais de la vie! Tu sais bien que je "crains" des oreilles..."Elle cuisinait mieux que personne, Mamette. Ses civets de lièvre ou de lapin de garenne était renommés. A chaque Noël, notre médecin de famille, Mr Jouvenel, qui habitait à 25 Kms faisait le déplacement. Le marmitoun de terre emmailloté d'un immense torchon noué aux quatre coins s'en allait sur la table du réveillon familial. Quelques jours après, quand le docteur ramenait le marmitoun et qu'il disait "Noémi, nous nous sommes régalés!", ma Mamette ne disait rien, mais dans ses yeux s'allumait une petite bélugue (étincelle) de plaisir!
L'émission se terminait; Mamette éteignait le poste. Un Radiola rigolo! Quand on cherchait les stations, on se voyait dans la glace où étaient écrits des noms de pays lointains:Budapest, Andorre, Roumanie...
Mamette disait "
Débarrasse la table, je vais en refaire, de la pâte de coings. Tu n'as qu'à regarder, c'est plus facile que de l'écrire..." Elle était fine, Mamette. Elle était fâchée avec l'écriture parce qu'elle n'avait jamais parlé que le Provençal....toute sa vie...Elle disait toujours "
Qué francès? Sian en Prouvenço, noun?"...(quel français ? Nous sommes en Provence, non ?) Elle avait raison.
Les coings sur la table, énormes, jaunes et duveteux. Mamette les essuyait avec un torchon propre, puis les coupait en quatre sur la planche à hacher, retirait les pépins qu'elle nouait dans un carré de mousseline.
Elle mettait le tout sur la cuisinière, dans une bassine à confiture, avec très peu d'eau. Quand les quartiers devenaient tendres, elle retirait la bassine du feu et mettait de côté le jus de cuisson qui lui servirait à faire la gelée (avec un kilo de sucre pour un litre de jus, mené lentement à ébullition et qui devait cuire ainsi une demi heure avant d'être mise en pots.).
Avec les quartiers de coings, le travail était plus long...Elle les passait à la moulinette, et pour un kilo de fruits passés, elle ajoutait 750 grs de sucre cristallisé. Le tout remis dans la bassine, sur le feu, elle tournait le mélange avec une cuillère en bois, debout devant sa cuisinière pendant demi-heure. J'entendais les petits "floc...floc" des bulles qui crevaient la pâte, on aurait dit des volcans! Il faisait une de ces chaleurs !
Mamette me disait "
Allez zou, lève-toi de devant, que tu es rouge comme un gratte-cul"! Va préparer les assiettes, bouléguan!" (remuons-nous).
Vite, vite, je mettais une nappe sur la table de la salle à manger et j'alignais les "sietoun" (petites assiettes) où Mamette faisait couler la pâte de coings qui finissait juste de bouillir : ça embaumait toute la maison! Elle avait une couleur brune, presque rousse, et Mamette me disait avec un clin d'oeil "
Elle est belle, qué?".
Moi, je pensais déjà qu'il faudrait la retourner dans l'assiette tous les deux jours et attendre qu'elle soit assez sèche pour que Mamette me dise enfin "
Allez, zou, boumiane...Tu peux en manger!"Le croirez-vous (et pourtant, c'est la franche vérité)? Ma Mamette s'en est allée depuis longtemps enseigner aux petits anges les bonnes recettes de notre belle Provence, mais après tant d'années, chaque fois que je fais la pâte de coings (moins bonne que la sienne, forcément, elle y mettait tant d'amour), elle est toujours avec moi, ma Mamette, avec son beau devantié blanc et ses cheveux de neige...A surveiller la cuisson, que si je la ratais elle ne me pardonnerait pas.