1 - LA POESIE
Qu’est-ce que la Poésie ?
La Poésie est un mets capricieux et doux, meringué et acidulé, mou et croustillant qui se déguste en dehors des heures de repas. La Poésie est non seulement l'art de chanter les bouches d'égout de nos quartiers mais également le meilleur moyen de faire tomber la pluie en juin. La Poésie est un puits de sentences sans plafond qui se perd dans les méandres d'un ciel invariablement bleu. Sauf quand il pleut, puisque nous venons de voir que la Poésie avait le pouvoir étonnant de recouvrir nos rues de matière aqueuse.
J'ajoute non sans outrecuidance que la Poésie est aussi un matelas de coton azuré qui flotte dans les airs nébuleux et sur lequel s'étend de temps à autre le joueur de luth en mal d'inspiration. Mais passons sur cet aspect olympien de la Poésie, assez anecdotique, pour nous attarder sur son côté commun, qui est le plus répandu.
La Poésie est la soupe du soir du mortel qui ne veut pas mourir. Elle peut être chaude, épaisse, claire, hachée, légèrement aréneuse ou bien franchement horticole. Elle est comme une rigole qui conduit les humeurs domestiques vers les sillons féconds du cultivateur. Une sorte de ruisseau universel duquel s'écoule un sang assez pur abreuvant des partitions patriotiques.
La Poésie, voyez-vous, c'est l'aptitude humaine à transposer le discours vulgaire sur des hauteurs quasi divines. Jouer du langage comme d'un piano, émettre des notes avec des citrons verts, des papillons bruns ou de vieilles cruches. En un mot, faire braire le verbe.
La poésie qui descend des étoiles se ramasse dans des soupières, elle se marie à merveille avec les condiments du quotidien, s'accompagne habituellement de laitue et de fraises des bois. Elle se digère un cigare aux lèvres ou une bague au doigt.
Mais surtout, et c'est l'essentiel, la Poésie est une digestion cosmique auto régénératrice qui ensemence la Beauté. C'est une coulée céleste traversant nos âmes qui, après avoir les avoir agitées, transformées, épurées, s'en retourne aux étoiles dans de grands jets lactés.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
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2 - L'AIR DES POETES
Poète du dimanche, garde ta lyre pour faire peur aux oiseaux. Et va jardiner. Versificateur à la noix, accroche ton luth au cerisier. Faiseur de rimes à la gomme, tes vers ne valent pas ceux des pêcheurs à la ligne. Poète sans souffle, tu parles de l'amour avec ennui. Tu dis que le ciel est bleu, tu chantes la vie, la mort, l'amitié... Et puis quoi encore ? Personne ne t'écoute. Tu radotes, te répètes, nous casses les oreilles. Tu nous fatigues, nous assommes, nous crèves. Que valent tes mots ? Poète je t'assure, si tu es grand, c'est parce que tu mesures au moins deux mètres de haut. Et si tu brilles, c'est parce que tu es lisse.
Tu nous beugles sur tous les tons que l'amour c'est de l'or éternel, que tes larmes de poète sont des diamants, que les vagues de la mer chantent en choeur, que les étoiles sont inaccessibles... Sot que tu es ! Et tu te prétends poète ? Va, retourne plutôt à ton jardinage. Va vider ton coeur ailleurs. Va nettoyer tes latrines au lieu de te répandre en bave et postillons qui nous importunent !
Poète sans levain, laisse tomber la plume et apprends à faire du pain : l'oeuvre de ton four vaudra toujours mieux que les confidences de tes muses. Tu ne vois donc pas qu'elles se moquent de toi ? Tes inspirations profondes les font rire... Cruelles sont les muses. Tu t'imaginais donc que des fées inoffensives siégeaient dans l'Olympe ? Des chouettes les hantent ! Et toi tu es leur jouet, poète naïf.
La Poésie est plus féroce que les légumes de ton potager lyrique ! Ta guitare est un panier plein de navets. Que valent tes carottes que j'écrase ? Un jus en sort. Tu prends ça pour du sang. Moi je te dis que c'est du lait. Ca te navre, poète larvé. A nous chanter Homère, tu nous barbes !
A débiter tes salades, tu ne fais que ruminer. A nous asticoter avec tes vers, on te prend pour une pomme. A déclamer tes perles, on t'élit roi des poires. William, mais sans Shakespeare.
Rimailleur épris d'absolu, ivre d'idéal, ne confonds pas le souffle et le vent. En vérité je te le dis, à vouloir faire sonner des mots creux, le poète ressemble vite à une cloche.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
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3 - LES POETES
Ce que les puits profonds ne savent pas, c'est l'éclat des nues, le feu des orages, le souffle des tempêtes. Et la subtilité des cendres.
Les poètes, imbéciles éclairés, pataugent dans les étoiles pendant que les autres fauchent leur blé quotidien.
Poète à la lyre, tu n'es qu'un loqueteux ! Honte à toi qui a les pieds boueux : lorsque tu chantes le ciel tu crois faire l'oiseau, alors que tu ne fais que la mouche. Vermine issue de la vermine, tu retourneras à tes vers : seule récompense de ta vanité.
Paysans, cul-terreux, fossoyeurs du vent, je vous aime ! Vous les planteurs de légumes, les récolteurs de pluies, vous les oracles des champs, les ramasseurs de soleil, vous êtes les vrais poètes de ce monde. Vos tomates qui mûrissent enchantent mon coeur, vos patates adoucissent mes moeurs, vos poires à l'automne tombent sur ma tête. Je me perds, ivre de plantules, dans vos sillons féconds.
Muse, vaine compagne de nos panthéons, ferme-là ! Écoute plutôt le chant âpre et vrai du laboureur. Écoute gémir la femme qu'il ensemence. Cette paysanne que tu railles au son de ta lyre, elle couvre de sa voix énorme tes cordes si sensibles... N'entend-tu pas vagir le fruit de ses entrailles ? Ils l'ont appelé Gaspard, tandis que tu te fais nommer chimère. Tu vois, tu n'es que fumée.
Muse, vieille souche que tu es, le poète aux pieds nus est bien fou, qui se répand en verbiages pour la seule gloire de tes racines sèches. Parce qu'il n'est point chaussé, il se prend pour un albatros. Mais ses ailes ressemblent aux oreilles qu'agitent les ânes, et son chant précieux s'apparente au nasillement du canard.
Laissez monter la gerbe et mûrir la graine, vous les joueurs de luth. Pendant que croissent la carotte et le chou, jouez, jouez donc. Chantez le crépuscule à vous en soûler jusqu'à l'aube.
Vos muses sont mortes depuis longtemps et vous ne le savez pas. Depuis une éternité la Poésie a déserté les constellations pour se réfugier dans les potagers. Orgueilleux que vous êtes, vous ne voulez rien savoir. Alors toujours chantez dans la nuit, marchez sans semelle, poursuivez votre quête... Continuez à ensemencer le ciel de votre salive, vous ne récolterez que des postillons.
Et si un jour vous vous mettez en tête de creuser la terre, vains comme vous êtes, vous hériterez encore et toujours de salades.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
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4 - LES POETES DU VENT
De nos jours l'art poétique s'est démocratisé en bassesse et incompétence. Et, se répandant dans toutes les sphères du possible (de la plus inepte à la plus insane, de la plus populaire à la moins honnête, de la plus minuscule à la plus infâme), la poésie est devenue prétentieuse, soporifique, creuse.
Et pour lui donner plus de poids, un cachet, bref pour faire impression sur les imbéciles, on la fait comiquement hermétique. Là où je ris, d'autres s'extasient. Ou feignent de s'extasier. A moins qu'ils ne croient vraiment à la valeur de ce qu'ils lisent, dupés par l'imposture du verbe mis en vers sous les plus ridicules prétextes.
Ici on chante le ciel bleu et les oiseaux, mais on les chante dans un langage parfaitement abscons. Là on peint l'imaginaire "émoi cosmique" issu de la cervelle la plus ordinaire qui soit, et c'est grotesque, pitoyable.
Ainsi l'art poétique a été si dévalué qu'un simple, inoffensif ciel bleu devient chez le poète une affaire d'état ou un enjeu phraséologique aux conséquences infinies... Ou bien la plus insignifiante des humeurs tourne, sous la plume d'immatures auteurs, au raz-de-marée verbeux.
Nul ne sait plus discerner l'art véritable des simples gammes que fait sur son piano l'élève qui a encore tout à apprendre de la musique. Un quidam improvise selon son intuition maladroite sur le clavier : il en sort du bruit et les ânes applaudissent... Ils n'entendent eux-mêmes rien à la musique mais ils applaudissent quand même, trop heureux de pouvoir ajouter du bruit au bruit, histoire de s'exprimer eux aussi, à leur manière, dans cette cacophonie générale.
Chacun s'exprime avec ce qu'il possède : pour certains ce sera avec le vide, pour d'autres ce sera en tapant des mains. Remarquons que les premiers offrent un écho aux seconds, sachant que le vide fera toujours résonner le moindre son.
Surtout lorsqu'il émane de cloches.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
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5 - LE PLUS GRAND POETE DOIT FAIRE DANS LES DEUX METRES...
Je ne saurais concevoir la poésie comme un émoi pour élite, prétentieux, à la Chateaubriand. Je crois moins aux sentiments littéraires élevés, finalement assez loin de l'authenticité de l'homme ancré dans le quotidien, qu'aux sentiments plus courants certes moins élevés (face aux académiques panthéons d'airain) mais plus proches sur le plan humain.
N'oublions pas que la culture n'est jamais qu'un artifice de l'esprit dans une civilisation donnée et qu'elle n'a aucune valeur sur le plan spirituel. La littérature, ça n'est finalement qu'un bagage terrestre, social, horizontal. Nul besoin d'être un lettré pour être dans la vérité. La poésie de Rimbaud ou de Hugo n'a aucune valeur chez les sauvages d'Amazonie.
Ma définition de la poésie n'a rien à voir avec celle des exégètes compassés comme le furent Aragon et Cocteau, artificiels à force d'érudition, monstrueux à cause de leur distance avec la masse ignorante.
La poésie c'est selon moi, tout simplement, tout bêtement et tout "prosaïquement" une certaine pureté de l'âme. Il ne suffit pas de savoir versifier sur le plan technique pour être poète. Mais on n'est pas pour autant poète en ne sachant pas versifier.
La versification n'est que le caractère formel, temporel, académique de la poésie, elle n'a qu'une valeur strictement littéraire : c'est beau parce qu'on sait lire, écrire, qu'on a une culture livresque. Les mots mis en vers ne peuvent émouvoir que des mortels sachant lire, donc des êtres limités par leur culture, leurs oeillères académiques. Ce qui émeut les âmes de manière universelle a beaucoup plus de valeur : là est la véritable poésie.
Les étoiles, la Lune ou la forêt sauvage ont certainement remué beaucoup plus d'âmes vierges de toute pollution culturelle que tous les vers compliqués des milliers de "poètes" que la Terre a portés à travers toutes les civilisations.
Après tout le véritable poète est celui qui sait atteindre les étoiles du ciel ainsi que l'âme de son prochain. Tout le reste n'est finalement que de la forme et non du fond.
Autrement dit de la pure, stricte et vulgaire littérature.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
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6 - LE PASSAGE DU PLOMBIER, UNE AFFAIRE DE MUSES
J'aime la poésie et ses charmants mystères. La poésie, la vraie : tout ce qui n'est pas livresque, sophistiqué, littéraire. La poésie, l'authentique : tout ce qui est grossier, banal, prosaïque.
La poésie digne de ce nom n'est pas logée dans les étoiles ni dans le coeur des amants, mais tout simplement dans la fange du caniveau ou dans l'estafette du plombier, entre clé de 12 et tuyauteries. Les imbéciles l'imaginent siégeant dans les nues.
Chanter l'amour, béer à la Lune, quoi de plus ennuyeux ? Que de coeurs vulgaires sensibles à ces niaiseries ! Mais rêver au bord d'une rigole fangeuse, méditer à propos du passage du plombier... Quelle affaire ! Les âmes esthètes sont seules capables d'accéder à cette émotion.
La poésie est un oiseau rare qui ne se laisse pas mettre en cage.
Je fais partie de cette belle espèce capable de verser une larme au passage du plombier ou devant les écoulements nauséeux du trottoir.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
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7 - LA POESIE DES REACTEURS
Croiser ton regard dans les airs, chère Sandrine, à bord de cet avion en provenance du Caire et sur le point d'atterrir à Orly dans le bruit confus des aérofreins et le sifflement net des réacteurs en décélération (ces stridulations caractéristiques annonçant l'atterrissage d'un aéronef, vrombissements intenses perceptibles par les passagers seulement), croiser ton regard là‑haut dans ce doux bruissement des moteurs disais-je, fut un théâtre intense. Du vrai, du beau tragi-comique avec pour décor tout un paysage, un monde vu d'en haut qu'il fallait coûte que coûte rencontrer sans heurt, sous peine de mort.
Nous étions acteurs charnels, incarnés, vivants et dangereusement proches l'un à côté de l'autre, avec le sol qui grossissait à l'approche de l'aéroport, un monde plus réel que nous ne l'imaginions parce que nos tombes futures étaient en bas, non en l'air. Notre devenir était sous nos pieds, quoi qu'il fût advenu. Telles étaient mes pensées...
Tu m'apparaissais plus belle en plein drame, au seuil de la tourmente (à l'approche du sol je me préparais à mourir comme c'est le cas à chaque atterrissage) !
Et ces bruits aigus de réacteurs -magnifique mugissement de la mécanique apprivoisée-, ces bruits de puissance, de gueules hurlantes muselées, maîtrisées par la main humaine, ces bruits de réacteurs en décélération, olympienne clameur du fer gorgé de feu, cette haleine brûlante enfin que crachait la machine, c'était de la MUSIQUE.
Mieux : du Mozart.
Oui tu étais belle dans cette scène, parce que cette couverture qui te recouvrait, si légère, ténue, aurait pu devenir ton linceul. Tout devenait vertigineux depuis mon siège : le paysage défilant à ma droite, la perspective certes peu probable mais non impossible d'un écrasement en bas, tes yeux furtivement croisés à ma gauche.
Et derrière mon masque serein, la tempête.
Bercé par le bruit des réacteurs évoquant le galop aérien de deux pégases, j'attendais le contact libérateur avec le sol, le frisson au ventre... Exquis tourbillons de la chair et de l'âme agitées par des causes suprêmes ! Amour et mal de l'air les secouaient... Sur le point de vomir, entre agonie et éblouissement, effroi et émerveillement, je m'en remettais aux ailes qu'une flamme faisait rugir. Dieu ! Quel concert que ces sifflements ! C'était pour moi l'appel du large, le cri de la liberté, le chant du ciel.
Enchanteurs sont ces engins volants qui décollent avec fureur dans un crachat de fumée et reviennent dociles, gémissants à l'atterrissage ! Ces aigles géants qui rasent les toits avec plein de majesté avant de se fondre dans l'azur sont semblables aux coeurs des hommes en proie à leurs plus chers tourments.
Sandrine, voyager à tes côtés lors de ce vol de retour fut la plus délicieuse épreuve de ma vie.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
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8 - UN POETE SANS COEUR
En vérité je vous le dis, dans l'existence je n'aime véritablement qu'une chose, qu'une étoile, qu'un idéal : la Poésie. Autrement dit le rêve, les humeurs pures et délicates de l'esprit, la lueur bleutée de l'amour spirituel, la beauté gelée de la mort, la beauté glacée des chastes amours, la beauté froide des esthétiques émois, et accessoirement, la laideur des femmes et le charme suranné des bossus.
Ma mie n'est après tout qu'une des réductions terrestres de mes plus pures aspirations célestes. Et, tel un cloaque clos, son hymen certes encore inviolé mais voué aux plus infâmes turpitudes de la chair, ne me rappelle finalement que les bassesses terrestres auxquelles, fondamentalement, je n'aspire pas.
L'amour charnel n'est plus une science ni un art pour moi, mais plutôt un exercice quotidien purement hygiénique, strictement alimentaire, essentiellement animal. Comme le boire et le manger : rien qu'un des plaisirs profanes qu'il nous est donné de connaître en cette vallée de larmes. C'est dire que je me suis assez vite lassé de ces espèces d'ennuyeuses formalités nuptiales... J'ai fait le tour de ma mie, et à présent je n'aspire plus à accéder aux sommets de sa chair flatteuse, mais à ceux de son esprit. Et à travers cette quête assez anecdotique des beautés de son âme, à la Poésie suprême qui siège ici et partout et que l'on nomme communément "Cosmos".
Je suis une âme presque désincarnée, un feu follet, une pierre de lune, et j'erre déjà dans les hauteurs cosmiques de l'Harmonie suprême. La Poésie m'a éloigné de mon morne chemin terrestre, et m'a davantage rapproché du divin.
J'aime oui. J'aime en égoïste, en esthète et en froideur. Et qu'aimé-je donc si impérieusement et plus chèrement que mes frères humains ?
Rien d'autre que la Lyre.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
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9 - LE STATUT D'AUTEUR
La plupart des auteurs se définissent exclusivement par rapport à leurs activités littéraires, ce qui est parfaitement réducteur, borné, et surtout très vaniteux. Je ne cesse de le répéter : la littérature n'est rien. Et le fait que l'on mette toutes ses tripes dans ce genre d'affaire n'y change rien.
Mais d'où vient donc cette étrange vanité des auteurs pour leur art ? Sans doute du culte que l'humanité aux temps passés a toujours voué aux plumes et poètes en tous genres, sortes de sorciers civilisés permettant au commun des mortels d'avoir une vue d'accès sur les dieux... De nos jours ce statut d'auteur étant accessible à la masse, il n'est pas étonnant que le moindre quidam de peu de culture prétende au feu sacré. Trois mille auteurs consultables chez "Le Manuscrit", éditeur en ligne des Dupont et autres anonymes !
Cette société est malade de son nombril.
Qu’est-ce que la reconnaissance pour un auteur ? Cela change-t-il quelque chose fondamentalement d'être reconnu ? Ne pas être reconnu, cela empêche-t-il les écrivaillons d'écrire ? Loin de là.
Alors, pourquoi ce malaise ?
Parce qu'avec l'explosion des médias, télévision depuis quelques décennies et aujourd'hui Internet, on a voulu faire croire aux millions d'auteurs du dimanche et autres poètes improvisés que la gloire était à bout de plume pourvu que le feu fût là... Mais de quel feu s'agit-il au juste ? Ce prétendu feu sacré de l'écrivain est une foutaise que partagent des millions de poires dans leur verger de bla-bla et de rimes au kilomètre... N'est pas Beckett qui veut.
Bernard Pivot en ce domaine a causé bien du tort. Ses célèbres émissions télévisées ont largement contribué à contaminer la population d'illusions littéraires. On voit ce que ça donne aujourd'hui. Trois milles auteurs en ligne chez Manuscrit.com ! Et combien de centaines de milliers d'autres mulots de la plume noyés dans les méandres du Net, ensablés chez d'obscurs éditeurs ?
Les faux messies de la cause littéraire (Pivot, entre autres bandits) ont fait croire aux masses que les lettres étaient à la portée du premier "original" venu. Le résultat, on le paye au prix bas : jamais la Pensée Universelle n'a été si prospère !
Atteindre à l'universel est seulement à la portée d'une poignée de lettrés : l'élite. Oui, je dis bien l'élite. Le mot ne m'effraie pas ni ne me scandalise, contrairement à bien des vaniteux de ces lieux définitivement hermétiques à mes vues sous prétexte que je ne les inclus pas dans le "Salut Littéraire"...
Écrire pour les siècles et non pour les regardeurs de télévision, écrire pour les générations futures et non pour les vacanciers, c'est être déjà mort à ce monde. C'est refuser le système de starisation, c'est accepter de demeurer dans l'ombre de son vivant non pour sa propre gloire posthume mais pour la gloire des Lettres, et rien que des Lettres. Sacrifice impossible pour le commun, crime de lèse-auteur impardonnable pour le vulgaire qui ose se prendre pour un écrivain ! Non, décidément, n'est pas Beckett qui veut.
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA
10 - LA POESIE RONGEE PAR SES VERS
La poésie de nos jours, surtout la poésie d'auteurs inconnus, est tombée en totale désuétude.
Par le simple fait que n'importe qui écrive de la poésie aujourd'hui, autant dire tout le monde, elle ne vaut plus rien. La poésie de nos jours ronronne. Et lorsque la rime pour se démarquer cherche à aboyer, hurler, rugir, elle ne fait que lamentablement braire : la corde poétique a été archi usée depuis un siècle. Ecrire en vers, c'est mal écrire.
Défenseurs des Lettres, au lieu de vous alarmer du déclin de l'intérêt du public pour les ouvrages de rimes, huez plutôt les derniers poètes qui s'ingénient à parasiter la littérature de leurs "admirables inspirations" couchées à travers recueils, feuillets et autres minces supports voués à une glorieuse mais -Dieu merci !- hypothétique postérité ! Compatissez au sort que réservent ces méchants poètes à leur lectorat sombrant dans une fatale léthargie au contact de leurs rêveries nombrilistes... La poésie en vers est bel et bien morte, et c'est tant mieux !
Le naufrage de cette poésie maintenue sous perfusion dans les cercles ultra confidentiels, autarciques et sclérosés n'en est que plus pathétique : chaque jour ressuscitée grâce au mirage de l'auto congratulation entre adeptes, elle perd progressivement en crédibilité.
La poésie, je veux dire la poésie versifiée, ne vaut rien si elle n'est pas baudelairienne.
Personnellement j'ai la décence et le bon goût de ne pas versifier afin de ne pas faire mourir d'ennui mes lecteurs. N'oublions pas que le versificateur se fait surtout plaisir à lui-même. J'ai compris depuis longtemps que la poésie versifiée ne valait rien si elle n'était pas baudelairienne. Ou hugolienne.
Bref, un Dupont qui versifie n'est qu'un tueur de poésie.
Le versificateur à notre époque n'est qu'une plume décidément bien légère cherchant à donner corps à ses jolies niaiseries et fausses profondeurs -qui ne sont que fosses- auprès d'un lectorat aussi minoritaire que complaisant. Je considère la poésie versifiée contemporaine comme de la masturbation littéraire dans sa grande majorité.
La vraie poésie versifiée est avant tout une technique. Elle doit se distinguer des poisseux, pesants, maladroits mouvements du coeur en mettant en avant le caractère aérien d'une technique parfaitement mâitrisée porteuse de messages limpides, essentiels, digestes et non pas remorquer de manière informe les surcharges de l'âme en proie à ses délires "nombrilistiques"...
L'authentique poésie est un dessert léger qui s'apprécie à petites doses (et encore, pas tous les jours !) au lieu de cette habituelle mélasse tantôt insipide, tantôt écoeurante.
En un mot, Verlaine ou rien !
C'est cela avoir le sens de la littérature et de la poésie : savoir se taire pour laisser les maîtres perdurer. Ce que je fais précisément en ne versifiant JAMAIS. D'autres l'ont fait avant moi bien mieux que je ne saurais le faire, alors pourquoi s'ingénier à faire moins bien ?
RAPHAËL ZACHARIE DE IZARRA