Carnets d'adresse
Epaules-Nues et ses cousins, les écolos anonymes
Bienvenue, chers touristes virtuels, sur la côte verdoyante de Mâle-Hibou. C’est une belle et chaude journée, comme elles le sont toutes dans cet archipel diaboliquement paradisiaque…
Le croiriez-vous, la Belle Epaules-Nues, serveuse de bar de son état, s’affaire à la cuisine. Il lui arrive parfois de passer un tablier décoré de koalas (qui lui sert aussi quand elle peint), et de se livrer à l’art difficile de Lucullus. Art d’autant plus complexe qu’Epaules-Nues a besoin de beaucoup de place quand elle joue à la « chef coq »… Hem, oui, même avec la féminisation des noms de métier, dire « une chef poule », ça pourrait vexer !
Pourtant, la métaphore serait, en l’occurrence, plutôt heureuse… En effet, Epaules-Nues fait cuire des œufs. De simples œufs durs ! Et rien que pour ça, la cuisine est aussi encombrée qu’un jardin envahi par les herbes folles.
Soudain, voici que le portable de la belle fait entendre son générique de vieille série télé. La barmaid ôte son tablier et se vaporise illico du déodorant sous ses aisselles nues (indispensable pour répondre au téléphone). Ensuite, elle cherche son portable enfoui sous les paniers de fruits, bouteilles de ketchup, décapsuleurs, spatules en bois, sachets de sucre vanillé et autres accessoires de diverses natures. Epaules-Nues est la parfaite antithèse d’Attila : partout où elle passe, tout repousse en double quantité.Epaules-Nues : Coucou, mon loup des Dolomites ! Mais oui, c’est ta petite chèvre de Monsieur Seguin à l’appareil, qui voudrais-tu que ce soit ?
C’est le fougueux chevalier servant d’Epaules-Nues, son inépuisable maître nageur italien, qui l’appelle. La belle sort sur le devant, son portable à l’oreille, roucoulant ostensiblement devant ses deux cousins, Torse-Nu Moniteur-Sportif et Torse-Nu Guide-Touristique.Epaules-Nues : On se donne rendez-vous ce soir, oui, oui… Sois brillant, je t’attends sur la première marche du podium amoureux. Arrivederci, ragazzo !
Elle éteint son portable, et cligne de l’œil vers ses cousins, pour leur signifier qu’il va y avoir du festin sensuel avec son fauve.Moniteur-Sportif : Dis donc, cousine, tu pourrais au moins remettre notre bonjour à ton petit ami.
Guide-Touristique : Oui, c’est un peu notre cousin par alliance, après tout… Même si l’alliance n’est qu’une association informelle.
Epaules-Nues : Faites vos commissions vous-mêmes, les corniauds ! Je ne vous empêche pas d’aller le saluer. Il vous trouve très sympathiques, il me pose plein de questions sur vous.
Guide-Touristique : Ah bon, quand on pose beaucoup de questions sur quelqu’un, c’est qu’on le trouve sympa ? C’est pas ce que grand-papa disait du contre-espionnage pendant la guerre civile.
Epaules-Nues : Sans rire, il me demandait dernièrement comment il se faisait que deux gars bien découplés comme vous n’aient pas de copines…
Moniteur-Sportif : Comment ? Hé, ho, minute, de quoi je me mêle ?
Guide-Touristique : Pas de copines ? Non, mais… D’abord, qu’est-ce qu’il en sait ?
Epaules-Nues : C’est vrai, qu’est-ce qu’il en sait ? Puisque même moi, je n’en sais rien. Et je suis pourtant votre meilleure amie.
Guide-Touristique : Certes, mais bon, on a bien droit à nos petits secrets…
Epaules-Nues : Evidemment ! C’est bien pour ça que je ne vous demande rien, mes cocos !
Moniteur-Sportif : Et c’est bien ce qu’on apprécie chez toi, p’tite cousine, ta discrétion !
Guide-Touristique : Qu’on soit anachorète, mormon bigame, sybarite jouisseur ou Barbe Bleue, ça ne regarde personne.
Epaules-Nues : J’approuve ! D’ailleurs, ça ne m’intéresse pas. Même quand vous êtes allés au night-club gay,
Chez Andoche, pour aider à changer une roue, paraît-il, je…
Epaules-Nues n’a pas le temps de terminer sa phrase. Comme piqués par un électro-choc, ses deux cousins se sont précipités dans le bungalow à la façon de deux fusées interstellaires. Ils reviennent trois secondes plus tard, leurs carnets d’adresse à la main.Guide-Touristique : Natacha ! Ann-Karen ! Hélena ! Guillelmine ! Marie-Nicole ! Orama ! Daphné ! Philippine !
Moniteur-Sportif : Shirley ! Thu Suong ! Marie-Nicole comme lui, mais pas aux mêmes dates ! Indira ! Mauricette ! Wanda ! Ingrid ! Mélanie ! Christine ! Félicie aussi !
Epaules-Nues éclate de son rire sonore et cristallin.Epaules-Nues : Balisez pas, je connais vos carnets d’adresse ! Vous les laissez traîner partout, vous êtes aussi bordéliques que moi.
Guide-Touristique : Ah ben ça, ça mérite un coup de pied quelque part, cousine !
Epaules-Nues : Essaie de me le donner !
Moniteur-Sportif : Tiens, tu as vu, Guide, j’en ai deux de plus que toi dans mon carnet.
Guide-Touristique : Ha ? Et qu’est-ce que tu veux me prouver par là, Monsieur Médaille d’Or ?
Petit intermède sportif bagarreur entre les trois cousins.Bing Paf Vlan Boxe Lutte Biff Bop Boum Pan !Fin du petit intermède sportif bagarreur. Retour aux échanges d’idées.Guide-Touristique : Au fait, cousine… Tu es fidèle à ton maître nageur italien, ou tu as aussi un carnet d’adresses ?
Epaules-Nues : Souviens-toi du macho pontifiant qui se voulait l’inventeur de cette démonstration : « Une femme qui a un amant est un ange… »
Moniteur-Sportif : Oui… « Une femme qui a deux amants est un monstre… »
Guide-Touristique : « Une femme qui a trois amants est une femme . » Elle est connue, c’est de Victor Hugo, je crois… Et alors ?
Epaules-Nues : Eh bien, selon cette analyse, je serais donc un ange, un demi-monstre, ou un tiers de femme.
Moniteur-Sportif : Un ange, j’en doute ! Tu louperais le casting !
Guide-Touristique : Et si tu cognes comme un tiers de femme, qu’est-ce que doivent être les coups d’une femme entière ?!
Epaules-Nues : Bon, c’est pas tout ça, si on allait croûter un morceau ? Je vous ai fait des œufs durs.
Guide-Touristique : C’est toujours mieux que des œufs à la coque.
Moniteur-Sportif : Ouais… Avec Petite Cousine, on peut toujours avoir peur de tomber sur un coquetier Molotov.
Une fois de plus, Epaules-Nues et les deux Torses-Nus regagnent leurs appartements bras dessus bras dessous. On sait maintenant (Mais on n’en doutait pas !) que la belle serveuse est fidèle, puisque c’est elle-même qui l’affirme. Quant à ce vieux barbon de Victor Hugo, il ne connaissait pas Epaules-Nues. Piètre excuse, mais pure évidence… Sinon, il aurait certainement tourné sept fois sa plume dans son encrier avant de médire.
J'adore !
