Me voilà, brumeux sans raisons, vague à l'âme. Loin, très loin, au loin vous flottez sur l'horizon caché. Vous et moi sommes fait pour nous rencontrés. Vous êtes partie de moi. Je viens vous retrouver.
Matin de juin, vers de nouvelles aventures,de nouvelles rencontres et de nouvelles terres à explorer, je me prépare à partir. Le cœur léger et l'âme confiante, je fais face aux brumes océanes qui couvrent le golfe et enveloppent de leur douceur ouateuse les îles, les récifs qui sommeillent encore sous les premiers rayons du soleil qui caressent, à peine, la lande.
Tout est calme, très calme, doux et apaisé. Les violons du vent se réveillent dans les branches des rares pins qui se dressent tortueusement sur les rives sableuses où repose mon frêle esquif. Les pinsons et leurs compagnons orchestrent une sérénade, une ballade, une ritournelle, que ne sais-je de mélodieux pour fêter la vie qui reprend ses aises sous le jour naissant. Pourtant, la nuit douce et chaude de ce solstice n'était pas muette et les broussailles des dunes n'étaient pas religieusement silencieuses. Qui a pu croire que dame nature aimait le silence ? Tout n'est que vibrations, sons, chansons, bruits, tourments, poésie frénétique, dans les airs.
Ce matin, je m'apprête à chevaucher ma monture marine. Je vais vers elles. Je cours vers ce chemin brumeux qui m'appelle et dont je ne vois que les premiers bourrelets ouatés, gris et qui, déjà, me halent vers l'écume des vagues, des vaguelettes qui viennent s'épanouir sur le sable ocre de ce bout de Finistère.
Ô brumes océanes, peut-être par superstition, peut-être par crainte de votre puissance mais surtout par respect, je viens à vous, embrûmé de mes rêves de vous. Voluptés humides, envoûtantes, je ne cherche qu'à me laisser envelopper par vos perles. Je suis prêt à entrer dans votre oubli et dans la légende des fous fondus de votre profond fond, fond sans fond où la terre disparaît pour renaître dans un monde que seuls, immortels et esprits malins qui dansent dans ces contrées interdites aux incrédules, connaissent.
Ô brumes océanes, mon esprit s'enivre déjà de vos légendes. Je suis hypnotisé, fasciné, hébêté, médusé. Tant d'attirance et de passion s'expliquent-elles par des mots ? Mes gestes sont lents. Je me vois agir, doucement. Je me vois aller vers vous, calme, décalé, apaisé. L'amertume des vagues qui saisit ma gorge n'étouffe pas le chant joyeux de mon cœur qui ne bât que de vous retrouver, ô brumes océanes.
Je rêve mon voyage vers vous. J'y suis déjà. Je me sens happé par vos volutes de coton gris. Tout mon corps est tendu vers vous. Je ne me retourne pas. Je ne jette pas de dernier regard sur la côte, derrière moi, sur ce que je laisse, qui me désintéresse, que j'abandonne. Je ne me sens ni courageux ni lâche. Je n'ose rien et ne trahit personne. Seul, je suis. Je ne le resterai plus. Je pars vers vous, ô brumes océanes. Je pars vers l'abîme de vos mémoires et l'infini de vos inconnus sans nom.
Ô brumes océanes, me voilà qui vogue vers vous. Le gréement droit pointe le ciel qui s'irise doucement sous le rythme solaire : l'astre du jour reprend possession de son royaume. Je quitte cet espace solaire pour me glisser lentement dans les premiers de vos filaments, ô brumes océanes qui m'attendez avant de vous retirer devant l'impérieuse majesté, lumineuse et radieuse magie du jour levant. Le vent se lève, m'accompagne et me pousse tendrement vers l'horizon que je ne connais pas.
Ô brumes océanes, je suis enfin parti vers vous pour me fondre en vous. J'ai enfin osé m'approcher de vous et j'ai enfin osé m'abandonner à votre mystère. Je quitte ce qui fut moi et je me lance dans l'aventure irréelle de ce qui sera moi. Et je suis là, maintenant en vous, présent et confiant. Seuls mes pensées et le tambour de mon cœur troublent le silence étouffé de vos entrailles.
Ô brumes océanes, je ne regrette rien. Je laisse ces derniers mots flotter dans l'air de cette bouteille que je lance à la mer : dernier témoin de mon passage pour les êtres qui furent mes frères et que j'ai tant aimés. Tant aimés et pourtant… seule votre passion a eu raison de mon attachement à la vie.
Ô brumes océanes, je suis à vous. Je suis parmi vous. Je suis en vous. Je perds ma singularité pour ne plus être que particularité avec toutes ces gouttelettes d'eau salée qui m'enveloppent, m'assimilent, me diffusent en infinies particules de rien, de tout, de vous.
Ô brumes océanes c'est maintenant que s'achève mon récit. Ces dernières lignes humaines partent dans leur vaisseau de verre retrouver mes semblables que je laisse sur le sable ocre de cette plage d'où je vous ai vues, d'où je vous ai aimées d'où je suis parti pour vivre ma passion.
Ô brumes océanes, je suis là et plus rien ne compte. Adieu passé troublant de ma condition d'homme. Je suis en mes brumes océanes.
tari minyatur Flamme du forum.
Nombre de messages : 582 Date d'inscription : 17/03/2008
Voici l'aimable reproche que Socrate adresse à ses amis:
Selon vous, je ne vaux donc pas les cygnes pour la divination; les cygnes qui, lorsqu'ils sentent qu'il leur faut mourir, au lieu de chanter comme auparavant, chantent à ce moment davantage et avec plus de force, dans leur joie de s'en aller auprès du Dieu dont justement ils sont les serviteurs. Or les hommes, à cause de la crainte qu'ils ont de la mort, calomnient les cygnes, prétendent qu'ils se lamentent sur leur mort et que leur chant suprême a le chagrin pour cause; sans réfléchir que nul oiseau ne chante quand il a faim ou soif ou qu'un autre mal le fait souffrir; pas même le rossignol, ni l'hirondelle, ni la huppe, eux dont le chant, dit-on, est justement une lamentation dont la cause est une douleur. Pour moi cependant, la chose est claire, ce n'est pas la douleur qui fait chanter, ni ces oiseaux, ni les cygnes. Mais ceux-ci, en leur qualité, je pense, d'oiseaux d'Apollon, ont le don de la divination et c'est la prescience des biens qu'ils trouveront chez Hadès qui, ce jour-là, les fait chanter et se réjouir plus qu'ils ne l'ont jamais fait dans le temps qui a précédé. Et moi aussi, je me considère comme partageant la servitude des cygnes et comme consacré au même Dieu; comme ne leur étant pas inférieur non plus pour le don de divination que nous devons à notre Maître; comme n'étant pas enfin plus attristé qu'eux de quitter la vie!