« Aujourd’hui c’est le grand jour. Elle va cracher au bassinet la vieille ! Ca fait trop longtemps qu’on attend qu’elle casse sa pipe, la momie. Dire qu’elle est blindée de tune et que nous on se la saute tous les jours. Quel gâchis ! Elle a même pas de dents pour bouffer ses économies. Ca lui ferait quoi de partager avec nous ? Si ça se trouve, elle pionce sur un matelas bourré d’oseille alors que nous on s’entasse dans cette vieille bicoque qui prend l’eau et pue le rance… tout ça à cinq dans deux pièces !
C’est pas notre faute si le père peut plus travailler à cause de ses poumons et que les allocs, c’est pas le Pérou. La grande a du mauvais sang, elle devrait se taper un beef tous les jours. Et le garçon, ça fait pitié de le voir si maigre. La dernière, c’est sa peau qui va pas bien. « De l’eczéma » a dit le docteur. Et la vieille qui se pommade la gueule avec toutes ces crèmes si chères qu’on pourrait se payer un mac do toute la semaine.. Merde ! C’est pas chrétien tout ça. Après tout, on est sa seule famille. Son fric, c’est aussi le nôtre. Quand elle sera crevée, ça va tout revenir à nous, la baraque, les bijoux, l’argent. C’est la loi qui le dit. Alors on va juste lui réclamer une avance, c’est tout ».
Le soir tombe lentement sur le bourg, allumant une à une les chaumières où un bon feu entretient la quiétude des foyers. On tape à la porte de l’une d’entre elles.
« Qui est là ? Ah ce sont mes neveux, ces deux empotés de la vie qui viennent encore me taper. Lui cet alcoolique maigre et sale qui crache son foie en disant que ce sont ses poumons. Et elle, ce gros tas visqueux qui sent le poisson pas frais. Deux paumés qui ont fait des gosses sans savoir que ça s’élevait ensuite. Pauvres enfants qui paient de leur santé les errements de leurs parents. C’est pour eux que de temps en temps je glisse quelques billets en priant qu’une partie ira dans la nourriture. »
La lune est maintenant bien haute dans le ciel. Les volets se sont refermés sur toutes les maisons . Dans l’une d’elles la cheminée éclaire d’une lueur orangée un bien triste spectacle : ligotée sur un fauteuil renversé git au sol une vieille dame, les yeux ouvert à tout jamais sur le plafond. De nombreuses plaies au visage et sur le corps montrent qu’elle a été battue, torturée. Le sang séché macule son bâillon. Les meubles sont ouverts, les tiroirs jetés par terre, la chambre a été retournée sens dessus-dessous, le matelas éventré, les fauteuils lacérés. Même spectacle dans la cuisine où tout a été saccagé par une fouille frénétique. Les visiteurs ont-ils trouvé ce qu’ils recherchaient ? En tout cas ils sont partis, assurés de n’avoir laissé aucune trace compromettante derrière eux. Le crime parfait en somme. C’est désormais le silence de la mort qui règne dans la maison.
Et les regrets de la mamie qui n’a pu expliquer aux neveux qu’elle voulait vivre encore un peu, profiter des petites joies à sa portée, qu’elle s’ouvrait au monde et aux autres. Comme avec ce téléphone portable offert récemment par une amie et avec qui elle communiquait par « texto » comme on dit maintenant . Avec son dernier message :
« salut comment ça va ? Ah ! je te laisse un instant… j’aperçois mes neveux qui arrivent…à tout à l’heure, après leur visite… »
Vik