Alors voilà, une "petite" nouvelle écrite en cours français, tada !
Miracle
Dans le salon, Naomie entendit le téléphone sonner. Son petit-frère au creux des bras, la jeune fille descendit l'escalier en colimaçon, déposa Tom sur le canapé, et décrocha :
-Monsieur Sulivan ?
-Heu, non, répondit-elle, indécise.
Dans son dos, elle sentit quelque chose tirer sur son t-shirt.
-Naomie, télé ! réclama son frère.
Demandant deux minutes, sa sœur mit la main sur le combiné et se baissa à la hauteur de son frère.
-Je suis occupé, Tom. Attends un peu, chuchota celle-ci.
Se mettant à dandiner, le petit garçon brun prit un air boudeur, et fixa son ainée de ses grands yeux marron. Soupirant, celle-ci attrapa la télécommande et alluma la télé, puis se détourna de son frangin avant de reprendre le téléphone.
-Je suis désolé... mademoiselle, dit-il sur un ton hésitant. J'ai dû me tromper.
-Non, non ! S'exclama Naomie. Vous êtes bien chez les Sulivan, mais... mon père est absent pour le moment. Je suis sa fille, lui expliqua-t-elle. Que voulez-vous ?
Son interlocuteur sembla réfléchir quelques secondes, puis se lança :
-Et bien...
Naomie n'entendit pas vraiment le téléphone qui avait glissé de ses mains tomber sur le lino blanc. Tom, alerté, s'était retourné. La jeune fille se sentit glisser s'affaisser contre le guéridon, tendit que quelques mèches blondes retombaient devant ses yeux écarquillés.
Un accident.
Elle tâta le sol à la recherche du téléphone d'où l'on pouvait entendre des « mademoiselle » sous le regard inquiet de son frère.
Un accident.
-Maman, gémit Naomie.
Des larmes coulèrent contre son gré, salées et amers. Tom s'approcha d'elle :
-Pourquoi tu pleures ? Lui demanda-t-il d'un voix insouciante.
Relevant la tête, elle le fixa de longues minutes avant de le prendre dans ses bras et d'éclater en sanglots. Il lui ressemblait tant...
C'était un simple accident de voiture. Aujourd'hui, le deux mars 2011, pendant une matinée brumeuse, à a peine trois kilomètres de leur maison, quelque part dans Plouzévédé. Apparemment, ce serait un tracteur qui lui aurait foncé dedans, les feux éteints, lui barrant ainsi la route. Si son siège ne s'était pas cassé et ne l'avait pas projeté en arrière, les débris de verre lui auraient transpercé le crâne, et les roues broyées les jambes. Elle avait eu de la chance dans son malheur.
Un mois s'était écoulé depuis l'accident de Karen, et pendant tout ce temps, elle était restée plongée dans le coma, sans aucune amélioration, rien. Les médecins prétendaient qu'il n'y avait aucun espoir, aucune chance qu'elle ne revienne, qu'elle ne se réveille.
Toute la famille avait déjà été la voir plusieurs fois, mais Naomie ne pouvait se résoudre à contempler sa mère dans cet état. Ce serait trop dur. Leur père, Mathieu, y était allé presque tout les jours, et était tout le temps revenu avec un air sombre, et depuis que la jeune fille et son père avaient tenté d'expliquer à Tom que Karen ne reviendrait surement plus, celui-ci avait piqué de violentes crises et pleurait à tout bout de champ. Voilà à quoi se résumait maintenant leur quotidien : une ambiance pesante succédant à des cris et des pleures.
Deux jours plus tard, alors que la nuit était tombée et que Naomie, allongée sur le canapé, regardait la télé, Mathieu vint s'asseoir sur un siège et lui fit face, ses épis blonds cachant ses yeux bleus tintés de lassitude.
-Ils veulent la débrancher ? demanda-t-elle en le fixant.
Il hocha la tête. Ce n'était pas difficile à deviner, tellement il en avait parlé ces derniers jours. La jeune fille avala difficilement sa salive, et ses yeux se mirent à la piquer, menaçant de laisser libre cours à ses émotions.
-Samedi, déclara-t-il.
Sa voix n'était plus qu'un souffle. Naomie acquiesça à son tour avant de se lever. Dans trois jours, ils lui diraient adieu.
-Bonne nuit, soupira-t-elle.
Et samedi arriva. Trop rapidement pour celle-ci. La jeune fille redoutait ce moment où elle serait confrontée à sa mère recouverte de fils et de machines, seules choses permettant de la garder en vie.
Ils partirent dans l'après-midi. Toute la famille au complet, soit un total de trois voitures. Ils roulèrent une bonne demi-heure avant d'arriver devant l'hôpital de Peraridy. Arrivés à l'accueil, on les fit patienter dans une salle beaucoup trop lumineuse pour Naomie, et où l'odeur de médicament la rendait nauséeuse. Tom se rapprocha instinctivement d'elle, Mathieu étant trop loin et discutant avec les grands-parents.
-Naomie, maman vit ici ? demanda le petit garçon, intimidé.
Elle se baissa et le prit dans ses bras.
-Oui, et on est venu lui dire au revoir, lui chuchota-t-elle à l'oreille.
Il afficha une mine dépitée, et des larmes apparurent au coin de ses yeux. Naomie le serra tendrement contre elle, avant qu'une petite infirmière aux longs cheveux roux ne les appelle pour les guider entre les couloirs, tendis qu'un autre médecin donnait des papiers à signer. Ils arrivèrent devant la chambre de Karen, le numéro deux cent trente-quatre, et la jeune fille rentra avec son frère et son père dans la pièce.
C'était une salle claire, immaculée, où seuls les bips des machines troublaient le silence de la chambre qui ne comportait comme meuble qu'un simple lit, une petite table de nuit et un bureau. Enveloppée dans des draps aussi blancs que le reste, Karen était sous assistance respiratoire. Mathieu resta une dizaine de minutes avant de donner une tape encourageante sur l'épaule de sa fille et de sortir, laissant les deux enfants avec leur mère.
-Allez Tom, c'est maintenant, chuchota-t-elle pour s'encourager.
Avançant de quelques pas, Naomie déposa son frère à côté d'elle et agrippa la main de Karen. Pouvoir sentir ce contact une dernière fois, un dernier instant, pouvoir le graver dans sa mémoire, l'apaisa. Alors, faisant face à sa mère, elle pleura. Tellement que Tom s'y mit à son tour. Des larmes trop souvent retenues coulaient maintenant sur leurs joues. Quelques-unes tombèrent sur les couvertures, et d'autre sur la paume de leur mère. Naomie ferma les yeux et dit tout ce qu'elle avait sur le cœur. Soudain, elle sentit une douce chaleur se refermer sur sa main. Ouvrant les yeux, elle releva fébrilement la tête de peur d'avoir rêvé.
Et c'est un regard tendre qui l'accueillit. Faible, fatigué, mais là, éveillé. Le cœur de la jeune fille se mit à battre plus vite, emplit d'une joie indicible, et elle fondit dans ses bras et s'écriant :
-Maman !