Je me dois de préciser ici que
TOUT ce que je vais écrire est vrai. Pas enjolivé ni rien.
C'était... il y a un certain nombre d'années... (ouf, sauvée, je ne connaissais pas encore mon mari !). En août, je me souviens.
J'étais partie avec ma Maman d'amour en Normandie, plus précisément dans l'Orne, et plus précisément dans un monastère : l'abbaye de la Grande Trappe.
Bizarre me direz-vous, puisque le seul croyant et pratiquant dans la famille était mon Papa. Mais j'allais là-bas depuis des années. C'est un endroit incroyable : aucun prosélytisme, on peut être croyant ou non, d'une autre religion, demander à parler à un moine ou non, assister aux offices ou non. Les moines sont pleins d'humour et de dérision envers eux-mêmes. On est chauffés (l'hiver), trois repas par jour... et à la fin, on laisse ce qu'on veut comme argent. Pas mal de gens ne laissent rien. Ils viennent passer quelques jours de vacances à l'oeil dans un cadre superbe, la forêt du Perche.
Les seules "obligations" : les repas sont pris en silence, et le soir, les grilles de l'abbaye sont fermées à 21 heures (les moines se couchent tôt, le premier office est à quatre heures du matin). Mais le domaine est immense, on peut se coucher évidemment à l'heure qu'on veut.
Bref, nous étions là depuis quelques jours. Un après-midi, ma Maman faisait la sieste, et j'étais allée dans le jardin fumer une cigarette (interdit de fumer dans les chambres !).
Je vois alors sortir de la "porterie" (petit local où se trouve le frère-portier, seul habilité à faire entrer les gens car le monastère n'est pas ouvert au public. Uniquement aux "retraitants"), un très-beau-jeune-homme. Un des plus beaux hommes que j'ai vu en vrai dans ma vie.
Il portait un petit bagage... et il avait l'air complètement paumé !!!
Moi, vous me connaissez, comme dirait San-Antonio! Toujours prête à aider les gens dans la détresse !
Je m'avance vers lui, et lui demande si je peux l'aider à quelque chose. Eh bien oui, justement ! Il n'avait rien compris aux explications du frère-portier pour se rendre à l'hôtellerie.
Qu'à cela ne tienne ! Je connaissais l'endroit comme ma poche. Je lui propose de le guider, il accepte. Bon sang, qu'il était beau ! En allant jusqu'aux bâtiments de l'hôtellerie réservés aux hommes, on discute un peu. Zut, il était séminariste, il venait pour faire une retraite. Bien habillé, une très belle croix. On fait les présentations, il s'appelait Philippe. Il me tape une cigarette, on plaisante, il était très gai.
On arrive à l'hôtellerie, et je le "remets" au frère-hôtelier qui l'attendait (on ne peut pas aller là-bas à l'improviste).
Je monte retrouver ma Maman. Le soir, à l'heure du dîner, on se retrouve dans la grande salle du réfectoire, je l'aperçois, et lui aussi. Il se précipite pour venir s'installer près de nous. Je le présente en chuchotant à ma mère, repas en silence.
Après le dîner, nous allons spontanément tous les trois nous asseoir sur un banc du parc, et nous discutons. Tout de suite, on a bien ri ensemble. Il me tape encore quelques cigarettes. Avec ma Maman, nous lui disons que tous les matins, nous allons faire une grande balade dans la forêt, jusqu'au village voisin. Tout de suite, il nous demande s'il peut nous accompagner. Ma mère, qui le trouve très poli et très sympathique dit "oui" immédiatement, et nous nous donnons rendez-vous.
Donc, le lendemain matin, départ pour une promenade de 8 ou 9 kilomètres. Je ne sais plus comment c'est venu dans la conversation, mais ma mère lui a dit qu'elle était femme de magistrat. On marche, on plaisante. Euh... plaisanteries assez salées, voire plus. Ma mère, en digne fille de militaire, plus les histoires sont croustillantes, plus elle rit. On a mis ça sur le compte de sa jeunesse, mais je reconnais que c'était hard, surtout pour un religieux !
Moi, j'avais passé la trentaine, lui avait je crois 22 ans.
On arrive dans le petit village où on faisait halte tous les jours, on va prendre un café, ma mère offre. On avait compris qu'il ne roulait pas sur l'or. J'étais devenue d'ailleurs sa fournisseuse attitrée de cigarettes...
On revient pour le déjeuner, tous enchantés. Philippe demande s'il pourra nous accompagner à nouveau les prochains jours. Naturellement !!!
Il nous restait 3 ou 4 jours à passer avec ma Maman, lui restait davantage.
Nous avons pris l'habitude d'être presque tout le temps ensemble. Quand je discutais avec frère Bernard, mon ami le plus proche là-bas, et que je parlais du "jeune séminariste", il ne faisait jamais de commentaires.
Un soir, ma mère était allée se coucher, nous discutions encore, et Philippe me dit que c'est dommage que les portes soient fermées si tôt, on aurait pu aller se promener, le temps était magnifique. Qu'à cela ne tienne. Vu mon amitié avec le frère-hôtelier, ce dernier m'avait donné le code pour ouvrir la porte de l'extérieur. Nous nous glissons donc discrètement hors des murs de l'abbaye, nous nous baladons, nous discutons, nous fumons. Je sentais de l'électricité entre nous. Nous sommes revenus nous asseoir sur un banc toujours à l'extérieur du monastère. Franchement, s'il n'avait pas été séminariste, j'aurais sans doute tenté quelque chose !!! Mais je suis restée sage, pas facile. Surtout que de son côté, ça avait l'air d'être la même chose.
Finalement, sur coup de onze heures du soir, nous rentrons, frustrés sans doute l'un et l'autre. Moi, c'était sûr et certain !!! Mais je n'allais pas débaucher un séminariste !!!
Ça a duré comme ça jusqu'à notre départ. Il a dit qu'il allait s'ennuyer sans nous. Échange d'adresses, de numéros de téléphone. Nous repartons avec ma mère.
On s'est écrit et téléphoné. Un jour, il me demande si ça m'ennuirait qu'il vienne me voir. Je vivais seule dans mon chalet de montagne, j'étais trop heureuse. Cela a semblé quand même bizarre à mes parents, qu'un séminariste vienne passer quelques jours chez une jeune femme qui vivait seule !
Je dois ici dire que seul mon Papa, quand nous lui avons raconté, a émis des doutes. Était-il vraiment séminariste pour raconter de telles histoires ? Nous, nous n'avions aucun doute.
Bref, Philippe me dit qu'il arrivera par le train à Marseille, je devais aller le chercher... et là, plus de nouvelles. Comme à l'époque j'étudiais Pascal avec mes élèves, j'avais envisagé quand il viendrait de demander au proviseur l'autorisation de l'inviter dans ma classe, pour qu'un catholique parle du jansénisme.
Je reçois un mot pour Noël, il me dit qu'il va me recontacter. Puis plus rien.
Deux ou trois mois après, coup de fil de ma mère : "Tu te souviens de Philippe F. ?". Évidemment que je m'en souvenais ! Les élèves me réclamaient parfois le beau séminariste.
Eh bien le beau séminariste... il était en taule. Recherché par toutes les polices de France pour escroquerie, il avait fini par se faire coincer à Grenoble. Son registre, c'était le milieu religieux. Il piquait du fric aux curés, il avait fait le coffre de l'évêque de je ne sais plus quelle ville. Là, il avait changé de registre, il s'était fait passer pour un commercial... de Coca-Cola, ce qui l'a perdu.
On a appris par les journaux qu'il avait célébré des messes, confessé des religieuses... Il s'y connaissait très bien. Il avait plein de pseudos.
Je suis tombée de haut. Quand j'en ai parlé à frère Bernard, il m'a dit qu'il savait qu'il n'était pas plus séminariste que moi, mais... secret de la confession. Il lui avait conseillé de me dire la vérité, mais Philippe voulait se faire "mousser" un peu auprès d'une femme qui lui plaisait, plus âgée, qui avait un job.
Et voilà comment se finissent les "grandes histoires d'amour". J'ai eu envie de le contacter en prison mais mes parents, frère Bernard, et même la police me l'ont déconseillé. Il a dû faire un an ferme... et je ne sais pas ce qu'il est devenu !
J'ai une photo quelque part, il faut que je remette la main dessus. Voilà, c'est moi qui ai tout confessé !!!!